L’incroyable histoire de James Leininger, l’enfant réincarné
« Avion en feu ! Avion en feu ! » Les hurlements du petit James réveillent ses parents, une fois de plus. Bruce et Andrea commencent à regretter d’être allés visiter ce musée de la Seconde Guerre mondiale avec leur bébé âgé d’à peine 2 ans. Certes, il faisait déjà des cauchemars, comme cela arrive chez les enfants, mais, depuis que son langage s’élabore, ses rêves portent des mots terrifiants : « Avion en feu ! » ; « L’avion s’écrase ! » ; « Le petit homme ne peut pas sortir ! »
La famille Leininger mène pourtant une vie tranquille à Lafayette, petite ville du sud de la Louisiane, et les parents ne s’expliquent pas ces cris, cette façon qu’a leur fils de se débattre dans son lit comme s’il voulait s’extraire d’une bulle invisible et oppressante. Tout comme ils ne comprennent pas son brusque intérêt pour les avions. Une véritable obsession qu’ils préfèrent accompagner plutôt que brider. Bien que les cauchemars soient de plus en plus fréquents et violents au fil des mois. Avec toujours les mêmes mots, la même attitude.
Un comportement étonnant
Leur médecin est perplexe. Les cauchemars et terreurs nocturnes sont normaux chez les enfants, surtout à partir de 4 ans, car ils font partie de leur évolution et leur permettent de mieux canaliser angoisses et pulsions. Mais James a commencé très tôt, et le contenu de ses rêves est terriblement répétitif. Il leur conseille de ne pas paniquer et, en cas de crise, de le prendre dans leurs bras, de lui parler doucement pour le rassurer et de lui faire décrire les images de ses rêves, voire de les lui faire dessiner. Pour le médecin, il est possible que la « visite au musée, dans cet immense hangar rempli d’avions, ait déclenché ses terreurs nocturnes, même s’il n’a pu y voir aucune image violente et aucune projection de film de guerre. D’ailleurs, quelle autre cause ? Hormis la violence de ces épisodes nocturnes, James mène la vie d’un petit garçon épanoui et équilibré. Andrea remarque toutefois que son fils a des réflexions et un comportement étonnants pour un enfant de son âge. Un jour, devant un magasin de jouets, elle lui fait remarquer qu’un avion porte une bombe attachée sous la carlingue. « Ce n’est pas une bombe, c’est un réservoir secondaire », rétorque- t-il avec aplomb. Un autre jour, dans un aéroport, James se met à inspecter un avion avec la même attitude, les mêmes gestes et aux mêmes endroits qu’un pilote professionnel. « Superdoué, mon fils ! » s’exclame Bruce avec la fierté d’un père. Andrea trouve quand même ce « don » très curieux. D’où tient-il tout cela ?
Le problème prend une tournure plus étrange lors d’une nuit où la crise de panique de James se révèle alarmante. Dans les bras de ses parents, l’enfant se calme lorsque sa mère, suivant les conseils du médecin, lui demande : « Qui est le petit homme qui ne peut pas sortir ? » James s’écrie : « Moi ! » « Et qu’est-il arrivé à ton avion ? » « Il s’est écrasé en feu. » « Et pourquoi s’est-il écrasé ? » « J’ai été abattu. » « Ah bon ? reprend Bruce. Qui t’a abattu ? » L’enfant prend un air interloqué et répond comme une évidence « les Japonais ! », tout en donnant une description assez détaillée des avions de chasse nippons des années 1940.
Qu’arrive-t-il à James ? Sa grand-mère maternelle est la première à oser une réponse : il s’agit peut-être d’un problème de réincarnation. Andrea n’y croit pas. Bruce non plus. Il se met en colère : dans une famille chrétienne, il n’y a pas de place pour cette « pure superstition ». L’idée même des vies antérieures est une injure à l’intelligence, ajoute-t-il. Pour ce responsable des relations humaines dans une compagnie pétrolière, il doit forcément y avoir une explication rationnelle. En bon sceptique autant que bon père, il va s’atteler à la trouver. En commençant par poser des questions plus précises à son fils. « Te souviens-tu du type d’avion que le petit homme pilotait ? » « Un Corsair », répond James sans hésiter. « Te souviens-tu de l’endroit d’où l’avion a décollé ? » « D’un bateau, le Natoma. » Curieux mot dans la bouche d’un enfant si jeune. Bruce vérifie : un porte-avions américain, l’USS Natoma Bay, transportait des Corsair pendant la guerre.
Les détails racontés sont exacts
Intrigué par l’exactitude de ces détails, il poursuit le dialogue avec son fils. À chaque réponse, une vérification. Bruce se lance dans un travail d’enquêteur, allant jusqu’à assister à une réunion des vétérans de l’USS Natoma Bay, sous prétexte d’écrire un livre. Il découvre que les détails racontés par James sont exacts. Depuis le lieu de la dernière bataille, en 1945, reconnu sur une photo par le garçon, jusqu’aux éléments techniques des vols, en passant par les surnoms des avions de guerre. Andrea est désormais convaincue que leur fils est la réincarnation d’un pilote de chasse. Bruce, toujours pas : il cherche la preuve ultime qui, à défaut d’expliquer ce qui arrive à James, lui permettra de démontrer que la réincarnation n’existe pas. « Connais-tu le nom d’un camarade du petit homme ? » lui demande-t-il. « Jack Larsen », répond l’enfant. Ce jour-là, il dessine un avion en flammes, et signe sa feuille « James 3 »…
Voilà la preuve : Jack Larsen n’existe pas. Et même si un pilote de chasse portait ce nom, il confirmerait que tout ce que raconte James n’est que le produit de son imagination. C’est le contraire qui se produit : Bruce retrouve la trace de Jack Larsen et part le rencontrer avec une liste de questions. Le vétéran confirme tout. Le monde s’effondre sous les pieds du jeune père. Il ne parvient pas à s’imaginer son enfant abritant l’âme d’un pilote de chasse mort pendant la guerre. Bouleversée, Andrea reprend les choses en main et contacte Carol Bowman, une psychothérapeute célèbre aux États-Unis pour son bestseller sur la réincarnation chez les enfants (Children’s Passé Lives, How Passé Life Memories Affect Your Child, Bantam Books, 1998), qui travaille dans la lignée de celui qui fut le spécialiste international des « enfants réincarnés », Ian Stevenson.
Comme son prédécesseur, elle a enquêté sur des dizaines de cas et travaille surtout avec des enfants perturbés par des souvenirs de vies antérieures. La thérapeute explique à Bruce et à Andrea que leur fils n’est pas un cas isolé et que ce phénomène se produit essentiellement après des morts violentes. L’âme, en se réincarnant, précise-t-elle, est si imprégnée du traumatisme qu’elle ne peut l’« oublier » lors du passage dans l’au-delà. La psychothérapeute leur conseille de rassurer leur enfant en parlant affectueusement au pilote qui survit en lui et, surtout, en lui demandant de raconter ses rêves comme s’il s’agissait de souvenirs, et non d’images oniriques. Les cauchemars devraient diminuer. Et, en effet, les réveils en pleurs sont plus rares. Jusqu’au jour où Bruce découvre, dans la liste des pilotes abattus le 3 mars 1945, un nom : James Houston Junior, ou « James 2 ». Le petit garçon est donc logiquement « James 3 ».
Nous sommes en 2004, James Leininger a 6 ans, et son histoire fait la une de la presse. Les Américains, médusés, découvrent, dans un documentaire diffusé en prime time sur la chaîne ABC, ce petit garçon plein de vie, expert en avions de chasse, qui se comporte tel un pilote chevronné. Avec un témoignage inattendu : celui d’Anne Baron, la soeur du pilote. La dame âgée a reçu la famille, s’est entretenue avec l’enfant et, les larmes aux yeux, déclare qu’il lui a raconté des choses qu’elle seule pouvait savoir… « Comment voulez-vous qu’après cela je ne croie pas en un monde spirituel ? » ajoute-t-elle.
Un roman familial ?
Les « Skepticals » (Committee for Skeptical Inquiry), membres d’une association luttant corps et âme contre le paranormal, réagissent en déclarant que les Leininger ont construit, plus ou moins consciemment, un « roman familial » pour se déculpabiliser des cauchemars liés à la visite d’un musée de la guerre et, par la même occasion, se valoriser. Réponse de Carol Bowman : il en va avec les souvenirs de vies antérieures comme avec ceux de la vie présente ; un événement, un lieu, un objet peuvent déclencher l’émergence d’images ou de sensations du passé. Chez les bouddhistes, le contact avec des objets familiers fait même partie du cérémonial qui permet de reconnaître les lamas réincarnés. Quant au « roman familial » construit autour de coïncidences, la psychothérapeute précise qu’il ne s’agit pas ici de deux ou trois mots exprimés par l’enfant au hasard, mais de près d’une centaine d’informations qui, après enquête, se sont révélées exactes.
James, aujourd’hui 16 ans, mène la vie d’un adolescent équilibré, même s’il jouit d’une certaine célébrité depuis la parution du best-seller écrit par ses parents (Soul Survivor, the Reincarnation of a World War II Fighter Pilot, D’Andrea et Bruce Leininger) et la circulation « virale » sur Internet du documentaire d’ABC. Il ne fait plus de cauchemars depuis longtemps. Et plus aucun souvenir de vie antérieure ne lui revient. Tout s’est arrêté le jour où, avec sa famille, il est allé dire adieu au pilote de chasse en priant et en jetant une gerbe de fleurs à Iwo Jima, au large du Japon. À l’endroit même où l’avion de James Houston était tombé en flammes.
La plus vieille croyance du monde
Dans les années 1990, un quart des Français croyaient déjà en la réincarnation. Depuis, ce chiffre aurait plus que doublé… Pourquoi cet intérêt soudain ? L’implantation, récente, du bouddhisme en Occident ? Certainement. Un besoin de retrouver du sens dans une société de plus en plus morcelée ? Probablement.
Le concept de réincarnation est ancré dans l’inconscient collectif car il s’agit de l’une des plus anciennes croyances de l’histoire humaine : ses premières traces remontent à la préhistoire de l’hindouisme, il y a environ cinq mille ans. L’idée qu’une âme puisse se séparer d’un corps au moment de la mort pour vivre une existence nouvelle dans une autre enveloppe a fait son chemin au cours des millénaires.
On en retrouve des éléments en Chine, en Égypte ancienne, chez les Grecs et les Romains de l’Antiquité ou dans le judaïsme. Bien que ce concept revête différentes formes selon les civilisations, c’est la « version » du bouddhisme tibétain – avec la possibilité de se réincarner dans plusieurs corps à la fois – qui est désormais la plus connue en Occident, popularisée par le film Little Buddha de Bernardo Bertolucci (1993). Il met en scène les rituels permettant aux moines de reconnaître l’enfant dans lequel un grand lama se réincarne. Ainsi, en 1936, trois ans après la mort du treizième dalaï-lama, un groupe de moines s’est rendu dans une province perdue du Tibet sur les indications fournies par les augures. Ils y ont rencontré un garçon de 2 ans qui les a immédiatement reconnus et s’est mis à parler leur langue alors que, dans le village, personne ne l’utilisait. Ils l’ont soumis à une cérémonie qui consiste à distinguer des objets – rosaire, tambourin, cloche… – ayant appartenu au précédent dalaï-lama, mélangés avec d’autres objets identiques. Après avoir réussi ce test avec succès, le petit Tenzin Gyatso a été reconnu comme le quatorzième dalaï-lama.
En Occident, Ian Stevenson, professeur de psychiatrie à l’université de Virginie, spécialiste international de la réincarnation, notamment des « enfants réincarnés », avait recensé quatorze mille cas plus curieux les uns que les autres. Puis publié des rapports d’enquête sur quelques centaines d’entre eux, dont nombre d’enfants occidentaux. « Certains sont stupéfiants, décrivait-il. Je pense par exemple à un petit garçon de 4 ans qui habitait dans un village près de Beyrouth. Il avait réussi à donner, entre autres, le nom de sa famille précédente, une liste de soixante-dix détails exacts la concernant et les derniers mots du défunt ! » Preuve de la réincarnation ? « Pas forcément, avait répondu Stevenson. Pour moi, même un cas aussi fort n’est pas parfait. C’est pourquoi je préfère dire que mon travail suggère l’existence des vies antérieures plutôt qu’il ne le prouve. »
Si la science ne peut pas prouver la réalité de la réincarnation, la psychologie transpersonnelle l’intègre de façon naturelle à sa vision de la psyché humaine, et certaines techniques thérapeutiques sont même fondées sur le pouvoir guérisseur des « régressions » dans les vies antérieures. Aux États-Unis, la « karmathérapie » est passée au troisième rang des thérapies alternatives, après les traitements antitabac et les cures d’amaigrissement…